Nous réglons la hauteur de notre voix, clignons des paupières quand un insecte passe, maintenons la tête droite dans un bus qui démarre. Autant d’ajustements ultra-rapides qui semblent se faire sans y penser. La boucle sensori-motrice, ce circuit aller-retour entre capteurs (vision, vestibule, proprioception, tact) et effecteurs musculaires, fonctionne-t-elle donc en pilotage automatique ?
Des délais trop courts pour la conscience
Les ajustements posturaux anticipés (APA) commencent jusqu’à 150 ms avant le geste volontaire ; les compensations réflexes (APC) surgissent en moins de 200 ms après une perturbation (Reyrolle 2024). Or la prise de conscience d’un stimulus vestibulaire ou tactile apparaît autour de 300 ms. Ces latences montrent que le cœur de la boucle tourne sous le seuil de la conscience.
Une hiérarchie de centres automatiques
Les premières corrections se déploient dans la moelle (réflexes monosynaptiques) puis dans la formation réticulée, qui module instantanément le tonus des extenseurs (Paillard 2017). Le cervelet compare en continu mouvement prévu et réel ; s’il détecte une erreur, il renvoie une commande correctrice en < 100 ms, bien avant que le cortex moteur n’entre en jeu (Purves 2019). Ces boucles feed-forward et feedback automatiques garantissent que nous restons debout pendant que le conscient se focalise sur des tâches fines (lire, parler).
Quand le cortex intervient
Le cortex moteur n’est pas absent : il prépare la stratégie (planifier un saut) puis délègue l’exécution aux circuits sous-corticaux. Des expériences montrent qu’un double-tâche cognitif (> 150 ms) dégrade la stabilisation de la tête, signe qu’une part volontaire peut affiner la boucle mais reste lente et coûteuse (Herdman & Clendaniel 2014). L’apprentissage moteur, la visualisation ou l’attention soutenue modifient donc la « programmation » automatique, sans pour autant l’abolir.
Plasticité inconsciente, modulation consciente
Après une seule heure de stimulation du réflexe vestibulo-oculaire, le gain oculomoteur se recalcule et la stabilité du regard s’améliore ; l’adaptation se maintient plusieurs jours sans effort conscient (Schubert & Minor 2014). Inversement, fermer les yeux ou marcher pieds nus force le système à « re-pondérer » les entrées sensorimotrices, souvent sans que nous le remarquions.
En résumé, la boucle sensori-motrice est fondamentalement inconsciente : ses calculs se produisent dans la moelle, le tronc et le cervelet bien avant l’accès au cortex perceptif. Pourtant, le conscient peut l’orienter – par l’intention, l’entraînement et l’attention – comme on ajuste le cap d’un pilote automatique sans toucher à ses micro-algorithmes. La prochaine fois que vous attrapez un objet en déséquilibre, souvenez-vous : votre cerveau inférieur avait déjà sauvé la posture avant même que vous ne réalisiez le danger.
Références
Herdman S. J., & Clendaniel R. A. (2014). Vestibular Rehabilitation (4ᵉ éd.). F.A. Davis.
Paillard T. (2017). Postural control and proprioception.
Purves D. et al. (2019). Neuroscience (6ᵉ éd.). Oxford University Press.
Reyrolle L. (2024). La place du réflexe vestibulo-oculaire dans le contrôle postural (Mémoire IFMK).
Schubert M. C., & Minor L. B. (2014). VOR adaptation. In Vestibular Rehabilitation (pp. 20–29).