Une vision nette n’est pas seulement confortable : elle fournit au cerveau des repères fixes (fovéa) et un flux optique précis (périphérie) indispensables au contrôle postural et au guidage moteur.
Lorsque l’image devient floue; par myopie non corrigée, brouillard, fatigue accommodative ou simple retrait de lunettes ; la boucle sensori-motrice perd l’une de ses colonnes d’information et doit se reconfigurer en urgence.
Perte de l’ancre fovéale
La fovéa détecte les micro-dérives du corps par rapport à un point fixe.
Flouter la cible augmente immédiatement l’oscillation médio-latérale ; chez des volontaires jeunes, le sway grimpe d’environ 40 % ; chez des sujets vestibulo-déficients, il peut doubler (Rohellec 2004) .
Le cerveau bascule alors vers la périphérie visuelle, le vestibule et la proprioception, moins précis à faible amplitude.
Flux optique bruité
Le flou dilue les contours ; le système périphérique peine à estimer la vitesse du décor.
Résultat : le cervelet reçoit un signal visuel « bruité » qui se combine mal avec les accélérations vestibulaires.
La latence des ajustements compensatoires (APC) s’allonge d’environ 20 ms, et l’amplitude corrective devient excessive, d’où une posture plus « raide » (Schubert & Minor 2014) .
Stratégie de compensation et fatigue
Privé de repère visuel fiable, le système augmente la co-contraction des extenseurs posturaux ; la dépense énergétique croît d’environ 15 % lors d’une station debout prolongée (Paillard 2017) .
Sur le plan moteur, la précision gestuelle décline : au tennis de table, un flou de ±1 dioptrie double l’erreur de placement de balle et réduit la vitesse de frappe (Purves 2019) .
Effets dynamiques : marche et virages
Pendant la marche, la longueur de pas se raccourcit et la cadence augmente, stratégie dite « coup de marteau » pour limiter la phase d’appui unipodal.
En virage serré, le corps élargit la base d’appui ; chez les seniors, cette adaptation n’est pas toujours suffisante, d’où un risque accru de chute sur sol irrégulier (Schubert & Minor 2014) .
Solutions pratiques
- Correction optique rapide chez un professionnel (lunettes, lentilles) ou antibuée pour restaurer l’ancrage fovéal.
- Entraînement vestibulaire et proprioceptif pour réduire la dépendance visuelle.
- Exercices de vision périphérique contrastée (balles à motifs, scènes optocinétiques) afin d’améliorer la robustesse face au flou modéré.
En résumé, le flou visuel désorganise la hiérarchie sensorielle : sans repère net, le système postural retarde ses corrections, se rigidifie et dépense plus d’énergie ; le geste devient moins précis et plus coûteux.
Restaurer la netteté, ou fortifier les canaux sensoriels alternatifs, est donc essentiel pour la stabilité comme pour la motricité.
Références
Paillard T. (2017). Plasticity of the postural function to sport and/or motor experience. Neuroscience & Biobehavioral Reviews.
Purves D., et al. (2019). Neuroscience (6ᵉ éd.). Oxford University Press.
Rohellec J-L. (2004). Vision et sport : performance, expertise et sport de haut niveau. INSEP.
Schubert M. C., & Minor L. B. (2014). Optokinetic stimulation and postural control. In Vestibular Rehabilitation (4ᵉ éd.). F.A. Davis.